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e-administration: priorité en voie d’affirmation

Economie avril 2018

e-administration: priorité en voie d’affirmation

Un champion digital public est né! La Direction générale des impôts (DGI) est la première administration marocaine 100% numérique. La digitalisation accrue de la DGI interpelle, surtout lorsqu’on sait que la numérisation de l’ensemble des services publics peine à décoller.

Qui l’aurait cru? La Direction générale des impôts (DGI) sur les réseaux sociaux? «Daribatouna», telle est la dénomination de la DGI, depuis début mars 2018 sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube. Branding social media efficace? Les avis divergent. On le sait, «Dariba» (impôt) n’a pas bonne presse chez nous. C’est universel… nous direz-vous! Pour utiliser le jargon de la communication, l’administration fiscale voire l’Administration ne bénéficie toujours pas d’une bonne réputation aussi bien auprès des entreprises que des particuliers! Qui parmi nous ou dans notre entourage n’a pas tenu de propos du genre: «A quoi servent finalement les impôts que je paie?» Quand il est question d’aborder les impôts, la frustration et la colère reviennent souvent dans la bouche des contribuables.

Première administration 100% numérique, et après?
La Direction générale des impôts fait, depuis plusieurs années, de la transformation numérique une priorité haute. Dernier acte: la mise en ligne en mi-mars d’une application mobile baptisée «Mon compte fiscal» permettant aux adhérents des services des impôts en ligne (Simpl) de consulter l’état de leur situation fiscale. Mais comment la DGI est-elle devenue un exemple de transformation numérique? La nomination à la tête de la DGI en 2015 d’Omar Faraj, un grand commis de l’Etat acquis à la cause du numérique, a donné un coup d’accélérateur à la digitalisation de cette administration. On ne cessera jamais de le répéter, les chantiers de transformation digitale sont avant tout une question d’Hommes et de leadership! Pour le cas de l’administration fiscale, le cap est clair: à partir du mois d’avril 2018, la DGI deviendra une administration intégrale numérique. Les propos sont d’Omar Faraj. Ainsi donc, la Direction des impôts sera la première administration marocaine 100% numérique. Rien que ça! La stratégie digitale de la DGI est partie d’un constat simple: toutes les tâches sans valeur ajoutée doivent disparaitre. Une stratégie disruptive pour une administration taxée de bureaucratie complexe qui semble donner de bons résultats. Du moins à en juger par les premiers chiffres communiqués par la DGI. On apprend ainsi que 9 DH sur 10 récoltés par l’administration fiscale passent désormais par la télédéclaration. Certains indicateurs donnent le tournis. Entre 2016 et 2017, le nombre de télédéclarations a augmenté de 1.337% pour la TVA, 1.865% pour l’IS et 5.074% pour l’IR.

9 DH sur 10 récoltés par l’administration fiscale passent désormais par la télédéclaration

Le programme de digitalisation de la DGI pose des questions de taille. La première qui vient à l’esprit et que peuvent se poser des contribuables Lambda : ainsi donc, c’est parce que l’Etat veut récolter plus d’impôts et élargir l’assiette fiscale (motivation légitime) que la DGI a engagé un énorme chantier de digitalisation en «imposant» le système de télédéclaration. Non, il ne s’agit pas d’un argument populiste, mais de la perception relevée ici et là, et selon laquelle la DGI cherche à tout contrôler sans pour autant mettre en avant la nécessité de la digitalisation pour le renforcement de la transparence et l’amélioration du service rendu aux contribuables. Pourquoi l’Etat n’engage pas autant d’investissements en termes de transformation numérique pour d’autres administrations, notamment celles relevant du secteur de la santé et de l’éducation? Quand on sait qu’à peine 10% des services publics sont numérisés au Maroc, cela peut malheureusement vider le sens de la dématérialisation engagée par des administrations stratégiques. Ne faudrait-il pas instituer un régime d’obligation à travers les lois comme on l’a fait avec la télédéclaration des impôts?
Le cas de la DGI remet sur le tapis le chantier de l’Administration électronique. Il faut relire la Constitution marocaine de 2011. Le texte énonce de nouveaux principes et valeurs démocratiques qui doivent sous-tendre l’organisation des services publics avec des obligations nouvelles à la charge des administrations. Il s’agit notamment du droit à la qualité du service public (Art. 154) ou encore le droit des citoyens de participer à la gestion des services publics. Dans son discours d’ouverture de la 1re session de la 1re année législative de la 10e législature du 14 octobre 2016, SM le Roi Mohammed VI a rappelé la place qui doit être accordé au citoyen usager du service public en ces termes: «L’objectif qui doit être recherché par toutes les institutions, c’est d’être au service du citoyen. Si elles ne remplissaient pas cette mission, ces institutions seraient inutiles et n’auraient même pas de raison d’être».

En attendant la transformation
La première stratégie gouvernementale pour l’administration électronique a été adoptée pour la période 2005-2008. Elle a été suivie de la stratégie «Maroc Numeric 2013» avec des ambitions nouvelles en matière de dématérialisation des services. Ce plan, dont le bilan a été dressé par la Cour des comptes (Evaluation de la stratégie Maroc Numeric 2013, Rapport 2014), n’a pas été déployé dans les délais et plusieurs projets prioritaires n’ont pas abouti en raison essentiellement d’une gouvernance défaillante. Certaines administrations ont réalisé des progrès significatifs en matière de dématérialisation des services notamment la CNSS et l’OMPIC. D’autres ont, de leur côté, lancé des services en ligne. Les exemples sont nombreux pour ne citer que l’inscription au permis de conduire, la recherche d’emploi, la demande du passeport biométrique, la gestion de la scolarité (Massar), etc. Il n’en demeure pas moins que nous sommes loin d’une transformation de l’Administration. Ces initiatives ont été menées en dehors d’une démarche concertée garantissant la cohérence des approches et la mutualisation des moyens investis. Le problème de la multiplicité des identifiants en est une illustration: aujourd’hui, le citoyen est identifié par la CIN, le permis de conduire, le passeport, la carte mutuelle ou encore la carte de retraité. Nous verrons si le projet de l’identifiant unique résoudra cette problématique. D’autres limites dans le déploiement de l’e-Administration méritent d’être soulignées. D’abord, la qualité des contenus publiés par les administrations est souvent en deçà des attentes des citoyens. En cause, le manque d’orientation «usager» des informations, l’absence d’actualisation des infos et des procédures ou la présence d’erreurs dans plusieurs sites. Ensuite, un déficit de communication sur les services publics dématérialisés disponibles, leur coût et les gains et avantages qu’implique leur utilisation. En effet, rares sont les sites administratifs qui intègrent des canaux d’interaction avec les usagers ou leur réservent des espaces d’expression. Enfin, on note le manque de compétences des agents publics pour pouvoir manipuler les nouveaux outils. L’Administration doit avoir des facilités pour recruter des «managers numériques», des designers, des codeurs, des data scientists… 

Quelle place pour
l’e-Administration?

Le plan «Maroc Digital 2020» a fait de la transformation numérique de l’Administration un de ses piliers avec l’objectif d’atteindre plus de 50% de démarches dématérialisées d’ici 2020. Une entité, l’Agence du développement du digital, a été créée en 2017 (Loi N°61-16) avec comme mission de déployer la stratégie de l’Etat dans le domaine du développement de l’économie numérique. L’apport de l’Agence du digital se situe, à notre avis, à deux niveaux : inciter dans un premier temps les administrations à bousculer les cultures et les habitudes parfois tenaces. Il y a plusieurs étapes dans la digitalisation : d’abord la technologie, puis les processus, et enfin la culture de l’organisation. Ensuite, assister les administrations qui accusent un retard considérable dans leur mutation digitale. Le défi est de s’attaquer aux disparités qui existent entre certaines administrations chefs de file et d’autres qui n’ont pas encore pris le virage numérique.

Par Digital Act , un think tank créé par Raja Bensouda, Amine Amrani et Mohamed Douyeb