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L’impossible compétitivité

Dossier juillet 2014

L’impossible compétitivité

Le secteur du bois et papier illustre, à lui seul, les lacunes mortelles de l’industrie marocaine. Entre monopole artificiel, rente réglementaire et faible agrégation, la filière ne s’en remet pas. Décryptage au cœur d’une branche dont l’avenir est incertain.

Sauf protection tarifaire, le secteur a peu de chance de résister aux importations

Le bois et papier est un secteur qui résume bien les dysfonctionnements du capitalisme marocain. Aux situations de rente s’ajoutent les business plans mal ficelés construits autour de réglementations qui, une fois elles changent, c’est tout le château de cartes qui s’effondre. Entre les deux, il faut avoir à l’esprit tous les corollaires d’effets pervers: manque de compétitivité, manque d’innovation, manque de formation, etc. L’actu économique récente a vu le secteur occuper les devants mais pour des histoires pas du tout reluisantes. La plus sombre est sans doute la fermeture de Cellulose du Maroc. Ainsi, en décembre 2013, la filiale de pâte à papier CDG met la clé sous le paillasson après plus de 60 ans de service! Le site internet CDG indique qu’«en 2010, le chiffre d’affaires de Cellulose du Maroc a dépassé un milliard de dirhams dont 85% réalisés à l’exportation, avec une production record de plus de 151.000 tonnes. Les principaux clients sont des pays d’Europe de l’Ouest et du bassin méditerranéen».

Une description toute glorificatrice mais qui n’empêchera pas la société de succomber à ses défaillances, notamment côté coûts. D’après les résultats d’une expertise réalisée, en 2012, par le cabinet international Poyry, «Cellulose du Maroc ne peut pas être compétitive à l’échelle méditerranéenne, encore moins à l’international, compte tenu du niveau élevé de ses coûts de revient». En effet, «depuis 2001, l’entreprise dégage des résultats annuels déficitaires. Des pertes qui se sont accentuées suite à l’effondrement du prix de la pâte à l’international, à 400 dollars la tonne en 2008. D’ailleurs, cette année, le déficit a été de 156 millions de dirhams et a atteint 182 millions en 2009», indique un article de la Vie Eco, paru au lendemain de l’annonce de fermeture. «Malgré toutes les tentatives de redressement que nous avons menées, la situation ne s’est pas améliorée. L’année 2012 s’est soldée par un déficit de 84,4 millions et un total de dettes fournisseurs de 40 millions», explique à l’hebdomadaire  d’économie, Saïd Laftit, secrétaire général de la Caisse. Moins spectaculaire que la fermeture, il y a les levées de boucliers contre des affaires de dumping dont la plus récente oppose Med Paper au portugais Portucel et ses clients importateurs marocains. Une audition publique a été organisée le 19 mai 2014 par le département du Commerce extérieur pour écouter les arguments des uns et des autres. Mais déjà en avril une taxe anti-dumping de 10,6% est imposée aux importations des ramettes A4 du  portugais. Une mesure de protection provisoire pour quatre mois et qui risque de devenir définitive dès août prochain. «Nous serons alors obligés de chercher d’autres origines, ça ne nous obligera pas à s’approvisionner auprès du producteur national, ce qui ne réglera pas son problème», assure un importateur.

Antidumping avéré
Plus ancienne que l’affaire du A4 portugais, celle du contreplaqué chinois dont a fait les frais la société Cema Bois de l’Atlas, filiale de Safari Holding du richissime Mohamed Karim Lamrani. L’incident remonte à mars 2011 quand l’entreprise saisit officiellement le ministère du Commerce Extérieur. L’enquête menée par ce dernier aboutira à l’existence avérée de pratique d’antidumping. En août 2012, un droit antidumping de 25% est instauré. Il vient s’ajouter à des droits de douane de 30% en moyenne sur ce contreplaqué. Comme potentiellement pour le papier A4, les importateurs ont vite diversifié l’origine du contreplaqué. Aujourd’hui, ce sont les produits égyptiens qui sont pointés du doigt par Cema Bois.

Ironie du libre-échange
Il paraît qu’ils soient eux-mêmes d’origine chinoise…C’est l’ironie du libre-échange. Entre ces trois cas d’entreprises en crise, il y a plusieurs points communs qui peuvent servir d’explications à la situation cafouilleuse du secteur bois et papier. Il y a d’abord le fait qu’elles soient toutes les trois en situation de monopole. Cellulose du Maroc était le seul et unique producteur de pâte à papier du pays. Med Paper est le seul et unique transformateur de pâte à papier au Maroc. Quant à Cema Bois de l’Atlas, elle est l’unique producteur de contreplaqué du pays. Les travers du monopole ont largement été décrits par la théorie économique. Sans parler des situations de rente, il serait davantage intéressant de citer le manque de compétitivité qu’impliquent nécessairement l’absence de concurrence et l’assurance d’un revenu régulier sur un marché fermé. L’existence de ces monopoles renseigne également sur le caractère assez petit du secteur bois et papier. Car pour chaque branche, le pays dispose d’un seul opérateur! D’où le questionnement sur l’importance économique de ce secteur, ou encore le bien-fondé de le soumettre à des mesures de protection tarifaire. Ainsi, en termes de chiffre d’affaires, on parle de 1,5 milliard de dirhams pour le papier, hors carton. Quant au bois, le dernier chiffre d’affaires communiqué par Cema Bois de l’Atlas est celui de 2010. Il était de 580 millions de dirhams. Avec ce chiffre, l’entreprise occupait le rang 148 parmi les 500 plus grandes entreprises marocaines. Depuis, elle sortira des radars. Et pour Cellulose du Maroc, le dernier chiffre d’affaires communiqué avant extinction est celui de 2012. Il était de 560 millions de dirhams, en baisse de près de 17% par rapport à 2011, la plaçant tout de même 150 des 500. Côté effectif, le secteur entre les 1.000 et 2.000 personnes. Dans ce décor macabre d’industries souffrantes, la filière carton affiche une santé enviable. Et curieusement, aucun de ses acteurs n’évoque l’urgence d’un bouclier anti-dumping pour protéger le secteur! Autre contraste avec le papier ou le contreplaqué, le secteur du carton connaît une multitude d’acteurs formels tels qu’International Paper ou GPC Carton, filiale d’Ynna Holding auxquels il faut rajouter plusieurs autres petites entités informelles. Mais ce qui protège cette filière c’est assurément un effort d’amélioration de la compétitivité déployée par ses opérateurs vu l’existence d’une réelle concurrence. Mais aussi et surtout une certaine protection naturelle provenant du coût de transport très cher du carton ondulé, notamment les caissons.

La barrière naturelle

Le Maroc n’est pas un pays à vocation forestière. S’il ne fallait retenir qu’un seul élément explicatif de la crise du secteur, ce serait celui-là. En effet, le secteur bois et papier, comme son nom l’indique, consomme beaucoup de bois. La production nationale ne couvre que 30% des besoins en bois d’œuvre et d’industrie du pays. Cela pose deux problèmes: l’impossibilité de réaliser de grandes économies d’échelle pour tenir tête aux grands producteurs forestiers mondiaux. Ce qui implique qu’en dehors d’un système de protection tarifaire, le produit marocain est systématiquement le moins compétitif. Et la fatalité de faire appel à l’export à hauteur de 70% de ces besoins. Ce qui implique une exposition mortelle aux fluctuations du prix du bois à l’international. Là encore, en dehors d’un bouclier protectionniste, l’entreprise nationale a peu de chance d’être compétitive face à des exportations en provenance de pays mieux servis par la nature.