fbpx

MALADRESSE CANADIENNE

Entreprises novembre 2016

MALADRESSE CANADIENNE

Bombardier Transport s’engage à produire des trains made in Morocco, mais à condition qu’on lui octroie des contrats importants. Une proposition indécente… qui ne passe pas.

Bombardier Transport fait les yeux doux aux autorités marocaines. Si après cela le canadien n’obtient pas une grosse part du gâteau ferroviaire au Maroc, c’est que son opération séduction n’aura pas eu le succès escompté. En effet, jeudi 20 octobre 2016, la division ferroviaire de la multinationale canadienne organisait un évènement à Casablanca où Bombardier Transport a présenté sa stratégie marocaine aux fournisseurs locaux et étrangers et à une assistance composée de représentants d’organisations gouvernementales et professionnelles, en présence de Mamoun Bouhdoud, ministre délégué auprès du ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique, ainsi que de l’ambassadeur du Canada au Maroc alors même qu’aucun contrat ne se profile à l’horizon. Cependant, la présence même de l’ambassadeur donne une dimension politique et diplomatique à tout éventuel  contrat entre Bombardier et l’ONCF. D’autant plus que l’Office est assez endetté surtout depuis le lancement de la LGV. «Une offre financière de la part des canadiens pourraient éventuellement précipiter des commandes de la part de l’ONCF», explique une source proche du dossier.

Catalyseur
Pendant la présentation de l’entreprise canadienne, son président Maroc, Taoufiq Boussaid, n’a eu de cesse de répéter que «c’est d’un catalyseur dont l’entreprise a besoin, afin d’installer une unité de production au Maroc». Catalyseur par-ci, catalyseur par-là. On l’aura compris. Il faut un gros marché pour que les managers de Bombardier Transport convainquent leurs actionnaires. «Nous avons besoin de convaincre les actionnaires Bombardier d’investir au Maroc et, pour ce faire, ils auront besoin d’être rassurés quant au retour sur investissement», explique Boussaid. «Pour débloquer ces investissements, il va nous falloir des contrats localement», nous confie sans détour en marge de l’évènement le président. D’après la présentation de Boussaid pendant la journée des fournisseurs ferroviaires, Bombardier Transport a toujours procédé ainsi dans les pays dans lesquels ses usines sont implantées. C’est le cas de l’Inde, où en 20 ans, Bombardier a investi plus de 90 millions d’euros pour ses six sites industriels, créant plus de 2.000 emplois directs et 5.000 indirects, fournissant non seulement l’Inde mais aussi l’Arabie Saoudite et l’Australie. Ainsi, un cluster ferroviaire a été mis en place permettant à plusieurs fournisseurs de classe mondiale de s’installer dans le pays. Par ailleurs, les trains Bombardier ont un contenu local évalué à 70% faisant de l’entreprise canadienne la première multinationale à réaliser des trains «made in India».

Nous sommes prêts à soutenir la volonté de Bombardier de se positionner comme locomotive de l’industrie ferroviaire

Made in Morocco
Et le canadien a exactement la même ambition pour la Maroc. «Ce que nous souhaitons faire au Maroc, c’est fabriquer un train de A à Z», affirme Boussaid. «Nous allons commencer par l’ingénierie et même si le design ne sera pas fait au Maroc, dans un premier temps, ce sera des ingénieurs marocains qui travailleront sur les principales activités associées au train», détaille le président Maroc. «Et l’idée est de progressivement arriver à une fabrication complète et totale d’un train made in Morocco, de démarrer avec un taux d’intégration de 30% et d’arriver à 70% dans 10 ans», assure ce dernier. Mais, pour cela, «il nous faut une commande qui occupe les 600 emplois que nous comptons créer sur un horizon d’au moins 5 à 10 ans», développe Boussaid. Difficile, cependant, de connaître le montant minimum du marché qui fera décider les investisseurs Bombardier de créer une industrie locale. «Etant sur des appels d’offres publics, nos chiffres doivent rester confidentiels», explique Boussaid, avant d’ajouter «qu’au minimum le chiffre d’affaires devrait tourner autour de 300 à 400 millions de dollars sur 5 à 10 ans». Pour sa part, le ministre délégué auprès du ministre de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Economie numérique n’a pas hésité un instant à soutenir l’intérêt que porte Bombardier Transport au Maroc. «Fort du succès en tant qu’acteur de l’industrie aéronautique au Maroc, je pense que la volonté de Bombardier de se positionner dans cette place, qui est encore vide, mais pas pour longtemps, de locomotive dans l’industrie ferroviaire, est importante et nous sommes prêts à la soutenir», affirme Bouhdoud. Pour ce dernier, «nous n’avons aucune raison de ne pas dupliquer pour le ferroviaire ce que nous avons réussi à accomplir pour l’automobile et l’aéronautique». 

Financement
Présents depuis 2011 au Maroc, Bombardier Transport n’a pourtant pas décroché le plus important des contrats. «Notre chiffre d’affaires marocain reste mesuré avec le premier contrat de 20 millions d’euros de réhabilitation du train entre Casablanca et Rabat, et le second, pour la signalisation de la LGV entre Tanger et Kenitra de 85 millions d’euros», expliquait Boussaid à notre confrère L’Usine Nouvelle dans son édition du 11 février 2016. En cinq ans, Bombardier n’a donc pas réussi à décrocher de contrats plus importants puisque le français Alstom lui coupe régulièrement l’herbe sous le pied. Alstom, qui opère au Maroc depuis les années 70,  a remporté haut la main les marchés de la LGV Tanger – Casablanca ainsi que des tramways de Rabat et Casablanca. Dans son édition du mois d’octobre 2011, Economie Entreprises en parlait déjà! «Un appel d’offres a été lancé pour la fourniture du matériel roulant du tramway de Rabat, mais c’était juste pour la forme, Alstom savait déjà qu’ils remporteraient ce marché de même que celui de Casablanca», affirmait alors une source proche du dossier. Est-il nécessaire de rappeler que la France prend aussi part dans le financement de la  LGV à hauteur de 700 millions d’euros dont 75 millions en dons et 625 millions en prêt? Idem pour le tramway de Rabat dont les 150 millions d’euros ont été prêtés par la France et celui de Casablanca avec ses 225 millions d’euros. Une convention de partenariat industriel stratégique a même été signée en 2011 entre le gouvernement marocain et Alstom engageant ce dernier à réaliser sur 10 ans un volume d’achats d’une valeur de 6 milliards de dirhams  auprès d’opérateurs installés au Maroc, à investir dans une unité industrielle devant générer sur la même période un volume à l’export de plus de 3,5 milliards de dirhams, et à contractualiser avec une société d’offshoring présente au Maroc pour près de 65 emplois à valeur ajoutée technique.

Au secours
Au vu de ces données, il est compréhensible qu’Alstom remporte les plus gros marchés marocains. D’où les appels au secours de Bombardier Transport, surtout à un moment où le groupe canadien a grandement besoin de relais de croissance autres qu’européens. En effet, deux jours avant l’organisation de la journée des fournisseurs ferroviaires à Casablanca, la filiale française du groupe tirait le signal d’alarme pour le site de Crespin dans le Nord. «Des commandes de trains doivent être passées dans les six à neuf mois pour maintenir l’activité sur le site du groupe canadien Bombardier de Crespin (dans le Nord) et éviter une situation sociale critique», déclare Laurent Bouyer, président de la filiale française. «L’usine de Crespin, où travaillent environ 2.000 salariés, n’a aucune commande à produire au-delà du 1er trimestre 2019», souligne-t-il. Début 2015, des informations relayées par Reuters et selon lesquelles Bombardier étudiait différentes options pour sa branche ferroviaire, dont une cession pour un montant pouvant atteindre 4,7 milliards d’euros, afin de répondre aux défis de son activité dans l’aérien. Information démentie par  Jacques Daoust, ministre de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations du Canada.  Pis, de nouvelles coupes chez Bombardier ont été annoncées pour la deuxième fois en moins d’un an. La multinationale québécoise éliminera environ 7.500 emplois dans le monde d’ici la fin de 2018, ce qui représente près de 10 % de l’ensemble de ses employés. Au total, deux tiers des postes touchés se trouvent dans le secteur ferroviaire de la société, alors que la division aérospatiale représente un tiers. En annonçant cette décision vendredi 21 octobre 2016, l’entreprise a dit vouloir réduire ses coûts dans le cadre de son plan de redressement jusqu’en 2020 mis de l’avant l’an dernier visant à accroître sa rentabilité ainsi que sa compétitivité. La multinationale estime pouvoir économiser jusqu’à 300 millions de dollars d’ici la fin de 2018. Investir dans une unité de production au Maroc qui permettra non seulement de produire pour le marché local mais aussi d’exporter vers l’Afrique et peut-être même l’Europe serait donc salvateur pour le groupe canadien. Sauf que, pour cela, l’ONCF doit lancer des appels d’offres incessamment sous peu et surtout laisser sa chance à Bombardier. Or, selon une source proche du dossier, «l’office refuse de communiquer avec Boussaid et ce, malgré ses nombreuses tentatives de rapprochement». En effet, «l’ONCF a très mal accueilli les sorties médiatiques de Boussaid qui sont perçues comme des critiques détournées par le biais de la presse», ajoute notre source. Porté par un modus operandi anglo-saxon, Bombardier a négligé les codes officieux de la culture latine du business. Ce faisant, il a fait preuve d’une maladresse extrême, mais sans doute involontaire. Et depuis trois mois, «l’office aurait suspendu ses rencontres avec le groupe canadien n’appréciant pas que ce dernier jette une quelconque suspicion sur  les précédentes passations de marchés à Alstom».

Ambition
«Nous n’avons aucun problème avec l’ONCF», affirme cependant Boussaid. «Nous sommes en contact avec eux et travaillons ensemble au quotidien sur nos projets en cours», ajoute le président de la filiale marocaine. Avec l’appui du ministère de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et l’Economie numérique, l’ambition du groupe canadien de faire du Maroc une plateforme ferroviaire pour servir l’Afrique via la réalisation d’un cluster ferroviaire semble sur la bonne voie. Fidèles à leur réputation, les Canadiens se disent même «ouverts à une joint-venture avec le partenaire ferroviaire historique du Maroc». «Nous travaillons en partenariat avec Alstom dans plusieurs pays car nous sommes inclusifs chez Bombardier», déclare Boussaid. Bombardier Transport Maroc semble sur les bons rails.