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MS Swaminathan|président du Conseil consultatif honoraire et coprésident du Forum mondial de la sécurité alimentaire

Interview avril 2012

MS Swaminathan|président du Conseil consultatif honoraire et coprésident du Forum mondial de la sécurité alimentaire

En marge du Forum mondial de la sécurité alimentaire, organisé par l’OCP, le père de la Révolution Verte en Inde donne de sérieuses pistes de réflexion au Maroc. Pour lui, la sécurité alimentaire ne se limite pas à nourrir les pauvres, mais il faut améliorer leur pouvoir d’achat.

Vous êtes l’initiateur de la Révolution Verte. Que pensez-vous du Plan Maroc Vert qui vise à industrialiser l’agriculture et la rendre plus compétitive?
Si le Plan vert marocain est mis en œuvre d’une manière efficace, il permettra d’améliorer le travail et sécuriser les revenus de tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’agriculture. Il renforcera la compétitivité du secteur agricole et fournira les matières premières pour les entreprises industrielles. Le Plan vert est la voie à la fois pour l’alimentation durable et la sécurité des moyens de subsistance au Maroc.

Selon vous, comment un pays agricole comme le Maroc pourra-t-il faire face aux périodes de sécheresse devenues structurelles?
Pour se préparer à la sécheresse, il faut un plan d’action anticipatif. Un code sécheresse devrait être établi, qui vous indiquera toutes les mesures nécessaires pour sauver les cultures dans la mesure du possible. En même temps, il faut préparer des techniques de sauvetage des cultures, ainsi que des stratégies d’atténuation de la sécheresse. Dans chaque village, un homme et une femme devraient être formés en tant que gestionnaires des risques climatiques (Climate Risk Managers) et ils doivent être familiarisés avec l’art et la science de la gestion du climat.

Alors que la plupart des experts s’accordent sur la nécessité et les bienfaits de la Révolution Verte, les critiques fusent à propos du coût de cette Révolution. Qu’en pensez-vous?
La Révolution Verte a été critiquée par les écologistes en raison de ses éventuels dommages écologiques, résultant de l’utilisation excessive d’engrais minéraux et de pesticides. C’est pourquoi j’ai développé le concept de la Révolution doublement verte (Evergreen Revolution), il y a 30 ans, en mettant l’accent sur la nécessité d’accroître la productivité d’une façon pérenne sans risques sur l’environnement. Les économistes ont également fait ressortir que si les technologies de la Révolution verte doivent s’appuyer sur une politique des ressources pour les agriculteurs. Indépendamment de la taille de la ferme qu’elle soit petite, moyenne ou grande, les technologies sont pertinentes. En fait, elles sont plus pertinentes pour les petits cultivateurs. Plus la ferme est petite, plus la nécessité d’un plan marketing s’impose. C’est pourquoi, le gouvernement devrait fournir un soutien, comme accorder des crédits et des intrants à faible coût pour les familles agricoles de petite taille. Ce n’est pas un problème scientifique, mais c’est essentiellement un problème de politique publique.

Vous avez aussi vos propres détracteurs qui vous critiquent sur la prééminence des matières organiques et s’inquiètent de la biotechnologie. Certains environnementalistes protestent contre l’utilisation des pesticides et l’irrigation intensive…
«La Révolution Doublement Verte» implique l’agriculture biologique ou l’agriculture verte. L’agriculture biologique sera facile à implémenter si les agriculteurs ont des animaux dans leurs fermes. Les défis ont trait à l’enrichissement de la fertilité des sols et la lutte contre les rongeurs et les maladies. Il faut savoir que l’agriculture biologique nécessite un appui scientifique encore plus important que celui demandé dans l’agriculture chimique. L’autre alternative est de promouvoir l’agriculture verte fondée sur la lutte parasitaire intégrée, l’alimentation intégrée et la gestion post-récolte. Donc, les deux agricultures, biologique et verte, sont écologiquement rationnelles.

Les sols et les ressources en eau sont épuisés alors que nous sommes maintenant 7 milliards d’hommes sur terre. Comment nourrir cette population?
Il est vrai que les sols et les ressources hydriques sont en dégradation. Dans les prochaines décennies et les prochains siècles, nous devons apprendre à produire dans des conditions encore plus difficiles. La part de chaque humain dans les terres cultivables et les ressources en eau va baisser. Mais nous pouvons facilement nourrir une population de 10 milliards de personnes, à condition que nous suivions la voie de Révolution Doublement Verte afin d’améliorer la productivité et la production. 

Quel pourrait être le rôle de l’OCP, le premier exportateur de phosphates dans le monde, dans ce challenge de nourrir la population mondiale?
Un major international comme l’OCP a un rôle important à jouer dans les prochaines décennies. L’Office a déjà initié de grands programmes collaboratifs en Inde dans le but de promouvoir la production et la productivité des légumineuses. Ce programme va aider à combattre les carences en protéine chez les Indiens et, en même temps, la pauvreté des sols, puisque les légumineuses servent à fixer l’azote dans les sols.

Quelles sont vos prévisions quant à la tension mondiale sur le marché des céréales et du riz?
La pression sur les marchés du blé et du riz augmentera puisque la contenance de notre panier alimentaire est en baisse. Nous devons élargir le panier alimentaire en y introduisant les éléments nutritifs. L’avenir appartiendra aux nations qui ont les céréales et non les armes. Et dans ce sens, je suis intimement convaincu que l’OCP est une source d’espoir dans cet océan de désespoir qui nous entoure.

Mais beaucoup de pays comme la Chine sont en train d’acheter des terrains en Afrique dans le but de sécuriser leurs besoins alimentaires. Que pensez-vous de cette vague?
Il existe une relation sentimentale et spirituelle entre les agriculteurs et leurs terres. Leur acheter ce qu’ils ont de plus cher pour assouvir leurs besoins en cultures vivrières ou pour d’autres besoins énergétiques n’est pas une démarche durable. Il arrivera un moment où ceux qui achètent ces terres feront face à la colère des vendeurs. L’appropriation des terrains de cette façon, même si elle est rétribuée, est très dangereuse socialement.

Croyez-vous vraiment que la production intensive et les OGM soit la solution pour l’amélioration du niveau de vie des pauvres?
Les Organismes Génétiquement Modifiés offrent des opportunités rares pour le développement de nouvelles combinaisons génétiques capables de permettre une résistance à la sécheresse, aux inondations, à la salinité des terres et à une température plus élevée des sols. Cependant, il devrait y avoir une autorité nationale de la biotechnologie qui doit être bien informée de la réglementation afin de mesurer les risques et les avantages d’une manière transparente et scientifique. La lame de fond de notre politique nationale à propos de la biotechnologie agricole devrait être le bien-être économique des familles agricoles, la sécurité alimentaire de la nation, la sécurité sanitaire du consommateur, la biosécurité de l’agriculture et de la santé, la protection de l’environnement et la sécurité du commerce national et international des produits agricoles. 

Dans ce cas, que pensez-vous du principe de précaution pratiqué en Europe visant à prendre des mesures à l’encontre de tout produit qui pourrait menacer l’environnement et la santé?
Le principe de précaution est très important du moment que nous n’avons pas toutes les données scientifiques. Donc, il est préférable de rester prudent. La sécurité alimentaire implique tout un processus: la production, la consommation et l’utilisation. A l’heure actuelle, la nourriture est disponible dans la plupart des régions du monde. Mais les pauvres n’y ont pas accès. Il faut leur garantir un revenu et un pouvoir d’achat stables. Il y a  aussi d’autres facteurs non alimentaires qui doivent être pris en compte pour assurer la sécurité alimentaire, comme l’eau potable, l’assainissement, les soins élémentaires, qui sont également importants.

Pourriez-vous expliquer votre idée qui dit que «la malnutrition dans un pays ne s’explique pas par un manque de nourriture, mais par un manque de pouvoir d’achat» ?
Près d’un milliard de personnes dormiront cette nuit sans avoir mangé ou en tout cas pas assez. En même temps, il existe des stocks importants de nourriture dans le monde. Nous ne voyons donc qu’un triste spectacle de coexistence entre ces millions d’affamés et des montagnes de céréales. C’est pourquoi, nous devons nous assurer que tous ceux qui ont besoin de manger peuvent accéder à la nourriture. L’alimentation et l’éducation sont les deux piliers de la vie humaine: il faut nourrir le corps et l’esprit. L’accès, à la fois, à la nutrition et à l’éducation doit devenir un droit humain fondamental. 

un gourou indien

On trouve toujours du plaisir à écouter celui qui a été acclamé par le magazine Time comme l’un des 20 asiatiques les plus influents du 20ème siècle. A 87 ans, professeur MS Swaminathan dégage un charisme particulier. Une aura due à son riche background académique, mêlée à cette sérénité philosophique indienne qui le rend célèbre aux quatre coins de la planète. En Inde, «Swami» est un titre de respect qu’on utilise toujours vis-à-vis d’un maître.
Grâce à lui, l’Inde a pu vaincre la famine avec son concept de la Révolution Verte se basant sur les enseignements de l’Américain Norman Borlaug, prix Nobel en 1970, qui a permis, grâce à ses méthodes de reproduction végétale, de doubler la production au Mexique, changeant ainsi le cours de l’histoire. Dans les années 60, avec le baby boom et une population mondiale qui augmentait rapidement, les enjeux de la sécurité alimentaire se posaient avec acuité, surtout dans les Pays En voie de Développement (PED) et les Pays les Moins Avancées (PMA).
MS Swaminathan, alors jeune agronome indien, fit venir Borlaug en Inde et expérimenta ses précieuses semences. En 1974, l’Inde était enfin auto-suffisante en blé et des millions d’Indiens furent sauvés de la famine et de la malnutrition! La production de blé a explosé, passant de 12 millions de tonnes par année à 70 millions de tonnes.
Proche conseiller de la Première ministre Indira Ghandi dans les années 1960, MS Swaminathan est aussi le père de la «Biohappiness». La biohappiness est la méthode qui prône l’utilisation des ressources naturelles d’une manière durable et créatrice de revenus pour les pauvres.
Dans la même logique, il a ainsi conçu le principe des «biovillages» qui allie de nouvelles méthodes d’augmentation des revenus des pauvres en milieu rural, celui des femmes en particulier, à des idées neuves pour protéger l’environnement.
Aujourd’hui, le fer de lance de ce savant est de faire de chaque village un centre de savoir. C’est pour cela qu’il parle dans cette interview de la nécessité d’allier l’alimentation à l’éducation: nourrir le corps et l’esprit. Il veut apporter les avantages des technologies de l’information et de la communication (TIC) modernes aux villages de son pays. Et si on s’en inspirait?