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Radios, un horizon digital

Entreprises avril 2018

Radios, un horizon digital

Pour adresser une clientèle qui a ses repères et ses habitudes de consommation en ligne, NRJ Maroc a choisi d’être à 100% digitale. Un business modèle aux antipodes des radios FM, de plus en plus à la peine.

Douze ans après la libéralisation et l’ouverture des ondes nationales au secteur privé, les radios privées ont su intégrer internet et le développement de la téléphonie pour accélérer leur croissance. Mais aujourd’hui, alors que les 15 radios hertziennes ont gagné des parts en termes de bassin d’écoute, elles sont confrontées à un nouveau «business model», celui de la radio 100% digitale. Au Maroc, ce mouvement vers le digital date de quelques années déjà: des radios régionales comme Radio Campus Marrakech ou Radio Ajial à Agadir se sont lancées sur le web… Mais rien à voir avec le concept intégré de NRJ, qui détonne dans l’échiquier radiophonique national. «En dix ans, le secteur radiophonique marocain s’est beaucoup développé et on peut dire que tous les Marocains et Marocaines ont trouvé une radio qui leur ressemble. Cela fait déjà quelques années que des radios web existent au Maroc, mais elles sont surtout associatives et plus connues au niveau des régions et pas à l’échelle nationale» confirme Younes Boumehdi, PDG de Hit Radio.

Première continentale
Cette arrivée sonne-t-elle pour autant le glas de la radio FM? Rien n’est moins sûr. Pourtant, l’idée est séduisante. Sur le papier, le potentiel du digital au Maroc est avéré: une personne sur deux dispose d’un smartphone, les Millenials marocains plus que les autres sont de fervents consommateurs de vidéos et autres contenus, l’internet 3G/4G a des statistiques de couverture et de pénétration respectables. C’est sur cet axe que NRJ table pour se développer dans le royaume. Après plus de 10 mois de streaming musical sur les ondes virtuelles, la radio NRJ au Maroc s’est dotée de sa propre grille de programmes. Sa diffusion a débuté officiellement le 12 février 2018 sur son site internet et sur son application mobile. Autre spécificité, le Maroc devient aussi le premier pays d’Afrique où NRJ diffuse des programmes en version locale. «Le cas de NRJ Maroc est assez intéressant dans le sens où il y a déjà des radios digitales internationales écoutées au Maroc mais pas présentes effectivement. NRJ au contraire s’est installée au Maroc et arrive avec des équipes dédiées pour le pays», confirme Younes Boumehdi. Les étapes de son déploiement entamé depuis près d’un an semblent conforter la stratégie de lancement adoptée par NRJ au royaume.

Digital VS FM
Le choix du digital n’est pas fortuit pour Hakim Chagraoui, PDG de Radio Planet, qui détient la licence exclusive de la marque NRJ au Maroc. Les jeunes Millenials constituent le cœur de cible de sa radio et il sait qu’Internet est leur jardin. Exit donc le passage par la bande FM classique: «Nous avons pris le temps d’étudier le marché et de voir de quelle manière nous allions lancer notre radio. Bien sûr, nous avons pensé au FM, mais il y avait du potentiel sur la Data. L’utilisation croissante des smartphones au Maroc, l’accès à internet pour la majorité de la population, le bond du digital avec la 4G et la démocratisation de la vidéo, la consommation d’internet… tous ces axes importants ont influé sur notre choix», déclare-t-il.
Avant son lancement, NRJ a misé sur l’évènementiel: l’implantation de la marque l’année dernière a été fêtée par l’organisation du «NRJ Music Tour» qui a réuni 5.000 spectateurs en Mars 2017. Le concert du chanteur marocain Hatim Ammor, célébré en juillet 2017 en marge du Festival de Casablanca, a drainé 100.000 spectateurs et la «Gaming Zone by NRJ», le festival dédié au gaming et à l’e-sport a pour sa part réuni 15.000 fans. «Après l’organisation d’une série d’événements, il était temps de passer à l’activité radio. Cette stratégie paie puisqu’elle permet à la marque d’engranger plus de 8 millions de dirhams de recettes publicitaires en seulement six mois d’activité au Maroc», confie Chagraoui.

Investissement mesuré
NRJ table sur un investissement de 35 millions de dirhams pour la période 2017-2020, soit un peu plus que la moyenne consentie par une radio FM au Maroc (aux alentours de 25 millions de dirhams). «Sachant qu’investir dans une radio digitale coûte moins cher qu’investir dans la fréquence hertzienne, avec une fourchette oscillant entre 3 et 4 millions de dirhams, comment une radio naissante comme NRJ peut-elle débloquer une somme pareille?», s’interroge dubitatif un concurrent sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter: «De plus NRJ n’a pas eu à payer une licence à la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), alors que les radios privées paient cher l’utilisation des fréquences; généralement, entre 1 et 2,5 millions de dirhams de redevance par an, hors coûts de diffusion. Ceci évidemment sans compter la licence initiale (2 millions de dirhams) que les chaines hertziennes ont payé à la HACA». Pour lui permettre de justifier son investissement et donner plus de détails sur sa répartition, EE a recontacté Chagraoui, mais ce dernier n’a pas souhaité donner plus d’éclairages sur ce point. Toutefois, selon d’autres patrons de radios hertziennes, les 35 millions de dirhams concerneraient davantage l’activité événementielle de NRJ. En tout cas, l’investissement n’était certes pas un frein pour NRJ, selon Hakim Chagraoui: «Nous avons surtout eu accès à différentes études réalisées notamment par l’Unesco ou encore des associations marocaines qui confirment aussi la baisse de l’audimat sur les ondes FM». De là à pousser les radios hertziennes à revoir leurs cartes?

Les investissements publicitaires destinés à la radio ont subi un repli de 11%

Les radios nationales peinent en effet à trouver un modèle économique fort, condition sine qua non de leur survie. Plusieurs stations sont d’ailleurs en situation délicate: «A date d’aujourd’hui, plusieurs radios perdent de l’argent, comme Radio Plus, Medina FM ou Cap Radio qui n’ont toujours pas trouvé de modèle économique adéquat, pour justifier les investissements lourds qu’elles ont consentis pour leur développement», assure Younes Boumehdi.
Mais le mouvement est global: l’utilisation des médias change partout à travers le monde, et le Maroc n’y échappera pas. La Norvège, qui a en 2017 supprimé les bandes FM et incité les consommateurs à basculer vers le digital, est un cas d’école. D’autres pays, à l’instar de la France et l’Angleterre, lui ont emboité le pas.

Vision commerciale
NRJ semble donc savoir où elle met les pieds. Le nouvel arrivant n’a pas seulement impulsé un vrai changement de perception de la radio, il a aussi adopté une stratégie commerciale adaptée à l’ère de la digitalisation. «Nous proposons à nos partenaires des offres de packages incluant radio, web, social media et évènementiel, et nous avons fixé un objectif de 25 millions de dirhams de recettes publicitaires d’ici fin 2018. Nous ne cherchons pas à vendre des espaces publicitaires ou encore du sponsoring traditionnel, nous commercialisons le coût par contact», confie Hakim Chagraoui. Vis-à-vis des marques, la valeur ajoutée de NRJ consiste à offrir de nouveaux espaces de communication pour toucher de plus près leurs consommateurs sur différentes plateformes. Une nouvelle vision qui pourrait pousser les radios privées hertziennes à changer également de philosophie commerciale. D’autant que les investissements publicitaires destinés à la radio ont subi un repli de 11%, selon les statistiques du Groupement des annonceurs du Maroc (GAM). Un résultat dû à la prévalence de l’offre de parrainage de plus en plus demandée par les annonceurs, parce que moins chère que le coût unitaire d’un passage radio. En outre, le marché publicitaire digital est évalué à 500 millions de dirhams, alors que la publicité radio s’élève à 250 millions de dirhams en plus de 10 ans d’activité. Sans concept novateur et sans une bonne négociation du virage numérique, voire une transformation digitale, qui pourrait empêcher aux radios FM de vivre les temps difficiles qui touchent la télé marocaine?