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Réformes du marché du crédit et croissance

Economie juin 2018

Réformes du marché du crédit et croissance

Les réformes successives du système bancaire débouchent sur une concurrence restreinte qui se traduit par des rationnements financiers et une limitation de l’efficacité des politiques monétaires expansives. Réfléchir sur la relance de la croissance aujourd’hui nécessite un réexamen des canaux de transmission de la finance au développement économique.

Les réformes du système bancaire mises en œuvre au Maroc s’assignent l’objectif d’accroitre l’intensité concurrentielle, de faciliter les impulsions monétaires par le canal du crédit et de soutenir, par conséquent, la croissance. A observer l’impact de ces réformes, on s’aperçoit qu’elles débouchent sur une concurrence restreinte qui limite les gains d’efficience : outre que le  comportement des banques se caractérise par un rationnement financier des petites et moyennes entreprises,  les actions monétaires s’avèrent plus efficaces en cas de resserrement qu’à l’occasion d’assouplissements.

Un marché du crédit dual
Le crédit bancaire est un mécanisme majeur de transmission de la politique monétaire. Les actions de la banque centrale affectent, en effet, aussi bien le coût de financement que le volume des prêts. A analyser les répercussions de ces actions sur le comportement bancaire, on observe une segmentation du marché du crédit en fonction de la taille des entreprises. Cette asymétrie s’exerce au détriment des petites et moyennes entreprises dont le poids est insigne au sein de l’économie. Selon des enquêtes convergentes, la quasi-totalité des prêts est soumise à des garanties dont la valeur moyenne se situe à plus du double du montant du financement. Ces garanties qui, sont tenues par les banques pour un signal de qualité qui leur permet de discriminer entre les emprunteurs, entraînent une différenciation en deux segments : d’un côté, de grandes entreprises bénéficiant de conditions avantageuses qui reçoivent une large part des crédits,  de l’autre, des entreprises de petite taille soumises à un plafonnement d’endettement, à de lourds collatéraux, et à des primes de risque qui élèvent le coût du crédit.  Les entreprises privées d’accès au  financement se trouvent ainsi fortement dépendantes de leurs possibilités d’autofinancement ou des crédits commerciaux. L’assouplissement progressif du coût de refinancement  par la banque centrale au cours des années 2000 n’a pas entraîné une atténuation de cette contrainte financière. Si le coût des financements enregistre une baisse, la prise de garantie reste déterminante du fait de l’attitude  des banques vis-à-vis de la qualité des candidats au crédit consécutive à l’asymétrie informationnelle.
Ces rationnements pèsent sur les décisions de production et d’investissement occasionnant ainsi un coût en termes de croissance et d’emploi. Comme tels, ils contrastent avec les effets attendus de la réforme des institutions du marché du crédit dont la visée est l’amélioration de l’efficience du système bancaire par la baisse des coûts d’intermédiation, à accroitre les opportunités de financement externe des entreprises et à accroitre l’offre effective.

Impulsions monétaires et  asymétrie d’impact
Les mécanismes de transmission de la politique monétaire transitent par le coût de refinancement des banques. En agissant sur ce dernier, la banque centrale entend influencer le taux du marché monétaire et par là les taux bancaires. Ces variations, qui sont censées être transmises aux taux d’intérêt réels, affectent les dépenses de consommation et d’investissement. A examiner ce mécanisme, on constate, qu’il est souvent asymétrique: les banques répercutent sur les taux débiteurs  plus la hausse  que la baisse de leur coût de refinancement, a fortiori dans le cas de modifications de faible ampleur de celui-ci ou d’incertitude. Le desserrement de la politique monétaire, intervenu suite à la baisse des taux directeurs, ne débouche pas sur une extension de la distribution de l’offre de crédit et de la quantité de monnaie en circulation. Le canal du crédit semble déterminé moins en amont, par la transmission du maniement du taux directeur, qu’en aval,  par les anticipations des firmes bancaires et  les structures de leur  marché. Les décisions de fixation du coût des emprunts comme la sélection des projets semblent dépendre de la perception des risques attachés à la conjoncture. En cas d’anticipations d’une faible croissance, l’atonie de la consommation intérieure, les menaces de dégradation du pouvoir d’achat ou la contraction de l’investissement élèvent la probabilité de défaut des emprunteurs et renforcent l’intolérance aux comportements jugés risqués d’autant que la  montée des créances en souffrance accentue la prudence, y compris envers les groupes ou entreprises ayant bénéficié  d’accès à des ressources peu onéreuses à des périodes de restrictions monétaires. L’assouplissement monétaire durcit les conditions d’octroi du crédit. L’anticipation  de l’insuffisance de la demande tend à exacerber les frictions financières en accentuant l’asymétrie d’information entre prêteurs et emprunteurs et la perception des risques de vulnérabilité et d’insolvabilité. Les  rationnements de petites et moyennes entreprises à travers l’exclusion du financement de candidats acceptant les conditions de prêt marquées par le pouvoir de marché des banques est persistant en dépit des dispositifs de garantie. Le ralentissement du  crédit bancaire est de nature à susciter des effets d’accélération du cycle économique en amplifiant les tendances à une croissance molle. L’effet conjugué des restrictions d’accès au financement et de la prévision de la décélération de la demande de leurs produits conduit  des entreprises à réviser leurs plans de production à la baisse créant ainsi  les conditions d’interaction entre crédit et activité.

L’assouplissement progressif du coût de refinancement  par la banque centrale au cours des années 2000 n’a pas entraîné une atténuation de la contrainte financière

En somme, la réforme des institutions du marché du crédit n’a pas contribué à élever le potentiel de croissance : les performances globales restent marquées par une croissance moyenne atone, faiblement créatrices d’emploi et coûteuse en termes de bien-être social. Il y a loin entre la réalité et es gains d’efficience imputées à la pression de la concurrence par la doxa inlassablement répétée des réformes structurelles.
Le comportement de fixation des collatéraux et du coût du crédit débouche sur des rationnements dont l’effet se conjugue avec celui que génère l’insolvabilité pour limiter la propension à prêter des banques et la capacité d’emprunter des entreprises. Dans le même temps, les disparités de comportement des banques face aux actions de la Banque centrale limitent la stimulation de l’activité réelle escomptée par des politiques monétaires expansives. Dans ce contexte, le projet de relance de la croissance ne saurait faire l’économie de la réflexion sur «la contribution du développement financier au développement économique ». La Banque mondiale, acteur insignes des réformes structurelles, ne soutient-elle pas dans son rapport de 1989 que «ce qui différencie le plus les pays les pays riches et les pays pauvres, c’est l’efficacité avec laquelle ils utilisent leur ressources. La contribution du système financier à la croissance tient précisément à ce qu’il est à même d’accroitre cette efficacité».