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Un coup d’épée dans l’eau?

Economie octobre 2011

Un coup d’épée dans l’eau?

Le gouvernement vient de mettre sur la table un ensemble de mesures fiscales et autres visant à alimenter un fonds qui bénéficiera principalement aux plus démunis, en allant piocher chez les plus riches. Une démarche longtemps réclamée, mais qui pourrait s’avérer insuffisante en l’absence d’une révision profonde de la fiscalité.

Mieux vaut tard que jamais! A quelques semaines des élections législatives, le gouvernement propose la création d’un fonds national de solidarité dans le cadre de la loi de Finances 2012, en appui au développement humain, à l’emploi, au logement social et au soutien direct aux personnes en situation précaire ainsi que pour la promotion du monde rural. «Il s’agit là du dernier soubresaut d’un gouvernement en fin de mandat, dont le bilan social, même en prenant en compte le contexte de crise économique internationale, demeure mitigé», commente un responsable politique. Effectivement, de nombreux observateurs estiment qu’un tel projet, discutable évidemment, mais indéniablement porteur d’une forte symbolique de solidarité sociale, aurait eu plus de crédibilité s’il avait été avancé en milieu de parcours du gouvernement, sans attendre l’actuel climat de tension sociale et politique, pour jouer aux pompiers.

Puiser dans les gros profits
Mais concrètement, qu’est-ce qui alimentera ce fonds, et à quoi servira-t-il? La lettre de cadrage de la loi de Finances 2012 indique que les fonds collectés serviront à financer la généralisation du RAMED (Régime d’assistance médicale aux démunis), améliorer l’assistance aux handicapés, et à étendre le programme Tayssir de lutte contre l’abandon scolaire. Quant aux financements, ils proviendront de plusieurs sources, à commencer par une contribution des établissements de crédit et organismes assimilés à hauteur de 4,5% de leur résultat net comptable annuel, ce qui représenterait au total environ un demi milliard de dirhams. Une deuxième taxe de 1,5% est prévue sur le montant des primes, surprimes et cotisations perçues par les sociétés d’assurance et de réassurance. Vient ensuite une contribution annuelle de 1% sur le chiffre d’affaires hors taxes et net des frais d’interconnexion des opérateurs télécoms, qui rapportera environ 400 millions de dirhams. Les deux autres secteurs mis à contribution sont celui de l’électricité et du tabac. Il est ainsi prévu de créer une quatrième tranche de consommation d’électricité de plus de 400 KWH, avec un tarif  qui passe de 0,20 à 0,35 dirhams/KWH, et de prélever 1,6% sur les ventes de cigarettes, tout en augmentant de quelques points la TIC sur le tabac.
Avant d’en arriver là, la réforme de la caisse de compensation, promise depuis longtemps, aurait déjà pu nous faire économiser beaucoup d’argent. Certes, même si Salaheddine Mezouar, ministre des Finances et de l’Economie, annonce que «cette initiative constitue le premier maillon vers la révision globale du système de compensation», cela ressemble plus à un vœu pieux qu’à une véritable amorce de la tant attendue réforme de la caisse de compensation.

«Le chaos qui a caractérisé le vote de la loi de finances renforce l’image d’amateurisme d’un gouvernement qui ne sait plus ou donner de la tête.»

Taxer le luxe
Parallèlement à la création du fonds national de solidarité, des rumeurs persistantes, malgré de nombreux démentis, circulent à propos de la création d’un impôt sur la fortune. Mais si la création d’un tel impôt sur les plus gros patrimoines n’est pas envisagée, il est cependant possible que le gouvernement taxe la consommation des produits de luxe, en augmentant par exemple la vignette pour les voitures luxueuses, ou en instaurant un impôt sur les résidences secondaires. Toujours est-il qu’à l’heure ou nous mettions sous presse, aucun responsable gouvernemental n’avait donné de détails précis à ce sujet.
Mais au milieu de tout ce débat, nulle mention de la fameuse réforme fiscale, qui pourrait indéniablement redonner à l’Etat une plus grande marge dans le développement social et la lutte contre la pauvreté, grâce à une augmentation de ses recettes. Ainsi, pour Lahcen Daoudi, économiste et membre du PJD, «Nous devons absolument revisiter la fiscalité. Nous avons jusque-là travaillé pour des lobbies, ce qui fait que la charge pèse davantage sur le peuple.» Quant à Najib Akesbi, autre économiste, il s’attaque à la fraude fiscale, largement répandue au sein de l’élite marocaine: «Au lieu de créer d’autres taxes, il vaut mieux réactiver celles déjà existantes. C’est un secret de polichinelle que les hauts revenus font des déclarations qui n’ont rien à voir avec la réalité. Le fisc, sur la base du niveau de vie du contribuable pourrait réévaluer l’impôt à payer, mais la procédure est rarement activée».
Reste aussi le problème de la multiplication des niches fiscales, dont un grand nombre participent plus à l’enrichissement personnel qu’à la dynamisation de l’économie ou à la création d’emplois. Et c’est d’ailleurs le directeur général des impôts, lui-même, Abdellatif Zaghnoun, qui expliquait lors du récent colloque sur les finances publiques, que cette année, sur les 271 dispositions évaluées sur un total de 399, le manque à gagner pour les caisses de l’Etat est estimé à 32 milliards de dirhams, précisant «qu’il est nécessaire d’examiner l’efficacité économique et sociale de chaque mesure par rapport aux objectifs de l’Etat, mais également par rapport aux dépenses budgétaires». Ainsi en est-il de l’exonération fiscale sur l’immobilier social, qui permet aux promoteurs de se sucrer sur le dos de l’Etat et des populations démunies, ou encore de celle concernant l’agriculture, qui profite principalement aux grands exploitants agricoles.
Que penser donc de ce nouveau fonds de solidarité nationale ? L’idée de chercher des recettes supplémentaires chez les entreprises qui engrangent les plus gros profits et chez les plus grosses fortunes personnelles, pour venir en aide aux populations démunies, est difficilement attaquable sur le plan du principe. Cela permet en effet d’instaurer, au moins en façade, un climat d’équité et de justice sociale, qui est au premier rang des revendications des mouvements sociaux que vit le Maroc actuellement. Mais au vu du timing de la proposition, et des chantiers toujours bloqués de la réforme fiscale et de celle de la Caisse de compensation, il est difficile de considérer ce projet de fonds autrement que comme une simple manœuvre politicienne visant à contenir temporairement le mécontentement d’une majorité de la population marocaine.

Et en France ?

Il n’y a pas qu’au Maroc que les riches sont invités à contribuer à l’effort national. L’idée, qui est soutenue depuis toujours par les mouvements de gauche, commence aujourd’hui à faire son chemin et à être enfin relayée par les grands médias. Dans une tribune publiée par le New York Times, le patron du fonds d’investissement Berkshire Hathaway propose une hausse d’impôts pour les plus hauts revenus: «Nos dirigeants ont appelé à un sacrifice partagé. Mais quand ils ont fait cette demande, ils m’ont épargné! Pendant que les pauvres et les classes moyennes combattent pour nous en Afghanistan, et pendant que de nombreux Américains luttent pour joindre les deux bouts, nous, les méga-riches, continuons à bénéficier d’exemptions fiscales extraordinaires», explique-il.
En France, il existe un impôt de solidarité sur la fortune (ISF), payé par les personnes physiques et les couples détenant un patrimoine net imposable supérieur à 1,3 million d’euros. Cet impôt progressif est assis sur la partie supérieure du patrimoine, à un taux allant de 0,55 % à 1,80 %.
En 2010, plus de 562.000 foyers français ont réglé l’ISF, pour des recettes s’établissant à environ 4,5 milliards d’euros. Et encore, ce montant pourrait être multiplié si la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale était mieux organisée, notamment en termes de coopération entre Etats et d’éradication des paradis fiscaux.