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Un partenariat nommé…Afrique

Economie décembre 2017

Un partenariat nommé…Afrique

Si l’offensive du patronat français dénote une volonté d’éclipser l’Espagne, devenue depuis peu le premier partenaire économique du royaume, on lira surtout entre les lignes le désir de réinvestir le marché africain via les canaux activés par le Maroc.

«Il y a parfois de l’égoïsme, il y a parfois des douleurs, et il y a parfois des obstacles. Le propre de notre relation c’est de faire en sorte que rien de tout cela ne puisse nous arrêter». C’est précisément en ces termes qu’Edouard Philippe, Premier ministre français, fait allusion à la relation faite de haut et de bas qu’entretiennent, depuis des années, le Maroc et l’Hexagone, en guise d’introduction de la manifestation monstre organisée par le club des dirigeants franco-marocains. L’édition 2017 du forum économique Maroc-France, la première sous l’ère Macron, est co-organisée par la CGEM et la branche internationale du Medef. Une rencontre qui revêt un caractère exclusif, avec la présence de grandes figures des affaires, quelques parlementaires et des PME triées sur le volet. D’autres signes plus subtils donnent une idée sur le côté un tantinet élitiste du raout, dont le sponsoring est le plus manifeste. Les bouteilles d’eau, prédisposées à assouvir, en temps normal, la soif des panelistes, ont été désétiquetées et le sponsorat du forum réservé exclusivement à l’OCP et Attijariwafa bank.

Clore un chapitre
La volonté d’aborder un nouveau chapitre dans les rapports entre les deux pays est partagée par Saâd Eddine El Othmani, qui se dit animé par le souci de «consolider le rapprochement entre les deux secteurs privés marocain et français». Une résolution entérinée par son homologue français qui a profité de l’occasion pour annoncer que l’AFD (Agence française de développement) doublera les montants des prêts dédiés aux projets sur le sol marocain, pour les hisser à 400 millions d’euros en 2018. L’augmentation de la puissance de feu du bras financier de l’Etat français, l’un des plus importants émetteurs d’emprunts de la sphère publique, illustre bien l’approche pro-business du gouvernement Macron. Il reste que les entreprises françaises sont en perte de vitesse au Maroc. D’après une information confiée par une source parue dans nos colonnes (le numéro du mois d’octobre 2017), le gouvernement Philippe verrait d’un mauvais œil le fait que l’Espagne ait ravi à la France son statut de premier partenaire économique avec le royaume chérifien. La visite du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, qui a eu lieu le 8 et 9 octobre dernier, visait à explorer les opportunités de partenariats en vue d’accroître le nombre de projets d’investissement et rattraper le terrain perdu face au voisin ibérique. «Nos entreprises sont insuffisamment présentes au Maroc et à l’export», constate Edouard Philippe.

France-Espagne, le bras de fer
Sur la période 2004-2014, les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Espagne se sont appréciés, en moyenne, de 11%, soit plus que le rythme des échanges globaux du Maroc établis à 9%. Une tendance confirmée par les dernières données publiées par l’Eurostat, qui montrent que les importations marocaines de biens d’origine espagnoles ont connu un bond de 17,2%, alors que les importations de l’UE ont enregistré une croissance de 6,55% durant la même période. Autre indicateur clé: les exportations espagnoles représentant 34,1% de l’ensemble des exportations communautaires vers le royaume, suivies des françaises, qui représentent 18,6%, des allemandes (10,7%).Cela illustre la complémentarité des échanges entre l’Espagne et le Maroc, fondée sur le développement d’une relation commerciale qui se base sur une intégration efficace dans la chaîne de valeur globale des deux rives de la méditerranée.

Jouer à armes égales
Or, en filigrane des débats, ressort une nouvelle priorité pour la France: utiliser le Maroc comme tremplin vers l’Afrique. Le forum a été l’occasion de revenir sur le concept de colocalisation, ce concept pieux développé sous l’ère Hollande et dans la finalité a été de se substituer à la délocalisation, sévèrement critiquée en France. La coproduction repose, pour rappel, sur le partage de la chaîne des valeurs, à travers la mise en action d’un partenariat équilibré Nord/Sud, Sud/Sud. «Ce que nous avons pu remarquer c’est qu’il y a un mouvement vers le nord des entreprises marocaines», témoigne Mohamed El Kettani, co-président du club de chefs d’entreprises France-Maroc et président-directeur général du Groupe Attijariwafa bank. La France a certes une longueur d’avance sur le Maroc, en termes de puissance de frappe avec plus d’une trentaine d’entreprises du CAC40 présentes en Afrique, mais le royaume bénéficie d’un Soft Power qui a le vent en poupe. Sur le plan financier, il y a autant de banques françaises présentes en Afrique que marocaines. La France tente surtout de faire oublier cette image virulente de la Françafrique qui rappelle une certaine ingérence dans les affaires d’Etats africains grâce au réseau de clientélisme historique avec les présidents africains. Le royaume peut, dans ce sens, être utile en tant que pivot, pour déployer une triangulaire orientée Afrique et servir de locomotive pour la France. Rabat peut également servir de passerelle vers l’Afrique anglophone et australe où la France est quasi-inexistante et où le Maroc a fait une percée récente, notamment en Ethiopie, ou encore au Rwanda.
Ainsi, les termes «défendre les intérêts communs», «accroitre nos parts de marchés en Afrique»…sont souvent revenus dans les discussions entre les opérateurs, comme si la conquête du continent se jouerait désormais à deux. Cela illustre aussi que le Maroc prend plus d’importance sur l’échiquier politique africain, avec une capacité de «jouer» à armes égales avec la France. Outre la recherche des effets de synergies, les deux parties veulent éviter de se marcher sur les pieds. Car, il faut dire qu’en s’attaquant à l’Afrique, le royaume empiète sur le terrain de jeu favori de la France. L’Afrique subsaharienne est la zone d’intervention prioritaire de la politique publique française de développement. En 2015, l’AFD y a investi 3,1 milliards d’euros, soit 38% du total de ses financements. Parmi les nombreux projets, beaucoup portent sur la promotion de l’accès aux services essentiels, l’essor des villes durables, le développement d’infrastructures, d’agricultures familiales et d’entreprises créatrices d’emplois, ainsi que la préservation des ressources naturelles. «La France est le 2ème investisseur en nombre de projets sur le continent», rappelle Fabrice Le Sache, fondateur de l’index de start-ups Up40. «Nous devons opérer une division du travail entre une entreprise française et une entreprise marocaine pour améliorer la compétitivité de l’alliance sur le continent», affirme El Kettani.
L’avenir nous dira si cet attelage à deux pilotes remportera le succès escompté.